Connue pour sa dimension multiculturelle et la cohabitation harmonieuse de ses différentes communautés religieuses, l’île Maurice fait office d’exception dans le monde. Noël, Cavadee, l’Aïd, Maha Shivaratree : le calendrier Mauricien comporte 15 jours fériés permettant de célébrer les fêtes religieuses de chaque communauté. Et pour ce qui est de fêter, les Mauriciens ne ménagent pas leurs efforts. Il suffit de fréquenter une plage publique un jour férié pour partager avec eux un moment à la fois rituel et convivial.
Ayant entendu parler d’un mémorable 15 août sur la plage de Blue Bay, j’ai décidé de vivre, moi aussi, cette expérience inédite.
Honneur à Marie
Célébrant la Vierge Marie, mais également toutes les femmes prénommées Marie (les femmes catholiques ayant souvent pour premier prénom Marie, elles sont particulièrement nombreuses à l’île Maurice* 😉 , le 15 août est une fête incontournable pour la communauté chrétienne de l’île, comme pour le reste de la population mauricienne.
La fameuse date approchant, je m’étais demandé où et comment la célébrer. En recueillant les avis de mes amis mauriciens, un lieu s’imposait : la plage publique.
Puisque la fête de la Vierge était un jour spécial, je souhaitais un lieu qui le soit tout autant. C’est alors que je me suis souvenue. A la vue de l’immense lagon qui se déployait sous mes yeux lorsque j’avais atterri à Mahébourg, à mon arrivée à l’île Maurice, je m’étais promis de venir explorer cette région, à l’extrême Sud de l’île. Puis on m’avait raconté : Pointe d’Esny, Blue Bay, la réserve naturelle, la plage de sable blanc, les coraux rares, les poissons multicolores.
Avant même d’y mettre un pied, j’avais déjà en tête un paysage incroyable, aux couleurs éclatantes jusqu’à l’éblouissement.
Mon imaginaire avait imposé sa réponse : je passerais mon 15 Août à Blue Bay.
Sur la route de Blue Bay
Avant d’explorer l’île, j’ai regardé des cartes, mesuré les distances, évalué les kilomètres. Et je me suis dit que dans un pays qui s’étend sur 70 kilomètres du nord au sud, et sur 40 kilomètres d’ouest en est, tout est accessible à la journée pour qui dispose d’une voiture.
Tous les voyants sont donc au vert pour que j’entame l’expédition qui me mènera d’Anse-la-Raie à Blue Bay. Le trajet faisant également partie du folklore, je décide de ne pas emprunter la voie rapide. Exit l’option la plus courante, qui consiste à rejoindre la capitale Port-Louis, pour ensuite traverser l’île d’Ouest en Est (Rose Hill, Quatre Bornes, Curepire et Rose Belle) jusqu’à la pointe Sud-Est.
Au soleil levant, je m’engage donc sur les petits chemins de traverse qui me font découvrir les villages aux noms magiques de Poudre d’Or, Roches Noires et Trou d’Eau Douce.
Alors que la vie s’anime dans les rues, que les familles s’attroupent pour se rendre à la messe, je distingue des petits étals sur le bord de route. Les gens s’y arrêtent et repartent avec de grosses boîtes. Intriguée, je décide de faire une halte à Quatre Soeurs. Je m’arrête à la boutique pour acheter une bouteille d’eau. Juste à côté, la pâtisserie ne désemplit pas. Dans la vitrine, s’alignent les « gâteaux Marie » que je découvre pour la première fois : d’épaisses génoises recouvertes de sucre bleu et blanc, surmontées d’une statuette de la Vierge Marie. L’incontournable gâteau du jour crée une queue sur le trottoir de la minuscule pâtisserie du village de Quatre Soeurs, emporté dans l’ambiance festive de cette journée hors du commun. Soudain, un homme installé sur le trottoir s’adresse à moi en créole : « Se ki pena Mari, asté Marie ». J’entends rire autour de moi, quand un autre homme, sourire aux lèvres, vient m’expliquer. « C’est la blague du jour ! Ça veut dire : Si vous n’avez pas de mari, achetez un gâteau Marie. »
Bonne joueuse, je m’approche du marchand de douceurs, lui tend mes roupies et repars avec un énorme gâteau Marie.
Jour de fête à la plage
Après deux bonnes heures de route, j’arrive à Blue Bay sous un soleil éclatant. L’hiver austral offre des températures agréables et un ciel dégagé ponctué de quelques nuages blancs. C’est donc par une belle journée d’hiver que je me gare sur le bas-côté, pour ensuite rejoindre la plage immaculée de Blue Bay.
Les familles mauriciennes ont déjà pris place sous les filaos. Tapis, chaises, table pliante et tente laissent présager les longues heures, à manger et discuter en famille. Les enfants, quant à eux, courent sur la plage à en perdre haleine avant de s’éclabousser et de se jeter à l’eau.
Assise à quelques mètres d’une famille mauricienne, j’entends les rires, les bruits de vaisselle qu’on débarrasse et les mots créoles que je ne comprends pas. A l’heure du dessert, je me lève pour leur proposer mon « gâteau Marie », que je suis bien incapable de manger seule. C’est ainsi que je fais la connaissance de Shanti, Vikash, Soweeta et Ajagen. Ils sont hindous mais fêtent tout de même la Vierge Marie. Tous les ans, ils viennent de leur village de Mont Blanc pour célébrer le 15 Août à la plage de Blue Bay. Pour l’occasion, ils louent une camionnette, préparent le cari, et se retrouvent ici toutes générations confondues.
Quand je leur demande où aller plonger pour voir le Cerveau de Vénus, corail qui fait la réputation de la réserve marine de Blue Bay, la grand-mère agite le bras vers la droite en parlant créole. Les enfants et petits-enfants éclatent de rire : « Ne l’écoute pas, elle n’a pas compris ta question, elle ne connaît rien aux coraux, et elle ne sait pas nager. »
Je décide donc de partir en exploration sous-marine au gré de mes envies. Quand je sors de l’eau, ébahie par les merveilles du lagon, le soleil commence à décliner. La plage danse au son de la ravanne, les corps se déhanchent sous l’effet du rhum.
La journée s’étire pour laisser place à la soirée. Il est alors temps pour moi de reprendre la route.
Je ramasse mes affaires, salue mes voisins et regagne ma voiture garée un peu plus loin.
Et tandis que je roule dans la nuit, les couleurs, les voix, les odeurs et les bruits de ce 15 août remplissent déjà ma tête de souvenirs. Sans oublier le goût du gâteau Marie !
*: à l’île Maurice, chaque personne dispose de 2 prénoms. C’est le 2e qui constitue le prénom d’usage, le 1er étant souvent un hommage à la religion.
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